Que s’est-il passé durant cette longue absence dans notre beau village et notre communauté de santé naissante ?
Oh, trois fois rien, nous avons, les médecins libéraux, vacciné toute la population française contre le Covid, contribué à coordonner les actions de santé dans les territoires, fait sortir de terre une réponse aux soins non programmés.
Non, vraiment, nous nous sommes tournés les pouces, qui sont pourtant un peu douloureux…
« Probablement la PS5 que nous offrons à nos enfants pour les fêtes de fin d’année ! » me souffle Expertix, mon ami spécialiste.
La crise est là, et bien là ! Ce n’est pas comme si nous sonnions l’alerte depuis plus de vingt ans… Tout le monde est à cran contre les médecins libéraux, ces nantis qui ne veulent plus accueillir de nouveaux patients et finissent leur semaine en trois jours pour partir tous les week-end au soleil ! Les patients, les députés, les sénateurs, les maires, les pharmaciens, les infirmiers, les coiffeurs…
Pourquoi les coiffeurs ? Parce qu’ils ont peur que la consultation en médecine atteigne le tarif d’une coupe. Non, il ne faut pas délirer non plus…
Aspirine, ma pétillante collaboratrice, pose le décor :
« Depuis vingt ans, a-t-on donné les moyens aux médecins, généralistes notamment, de créer de vraies entreprises de santé ? Non.
A-t-on permis de flécher toute demande de soins vers de grands cabinets libéraux ? Non. A-t-on financé l’innovation ? Non.
A-t-on permis aux médecins de s’entourer d’une équipe de soins et de la piloter ? Non. »
« En effet, accuser le médecin généraliste dans ces conditions, c’est comme reprocher à un attaquant de ne marquer aucun but alors qu’on lui a mis dix défenseurs dans l’équipe… » renchérit Heurfix, notre jeune spécialiste.
« Chez nous, la CPAM a organisé un bal masqué. » nous raconte Speedix, notre généraliste hyperactif. « Mais la fête a tourné court ! Pharmacien, infirmier, sage-femme, tout le monde s’était déguisé en médecin… Moi, je n’ai pas pu y aller, j’étais de garde ! »
« Est-ce bien la récompense de tous nos efforts ? » tempêta Ocytocine, notre gynéco parfois un peu contractée ! « Au lieu de faire un mea culpa et admettre avoir laissé mourir la médecine de ville depuis plus de vingt ans pour un mauvais calcul financier, les politiques se défaussent et nous accusent ! »
« La population ne désire pas se faire soigner dans le fond des officines sans voir le moindre médecin. Comme nos amis infirmières et infirmiers, du terrain, qui connaissent la vraie vie, n’ont guère envie d’endosser des responsabilités qui ne relèvent pas de leur métier. Nous devons donc avoir un discours de vérité. Cette prochaine convention, c’est celle de la dernière chance : sauver la médecine libérale ! »
« Certes, certes, Empatix, mais tu sais bien comment se passe une négociation conventionnelle. Nos syndicats sont à peu près aussi unis que le vestiaire du PSG… »
« Mais sans le budget ! » soupira Expertix.
« Ça, c’est sûr qu’avec l’ONDAM actuel, on ne sera pas inquiété par le fair-play financier ! » renchérit Heurfix.
« Sans un ONDAM à la hauteur, ça ne sert à rien de commencer la négociation. Mais ne baissons pas les bras. Il doit bien y en avoir ayant du bon sens à l’avenue de Ségur. »
« Et à Bercy… »
« De notre côté, il faudra se mettre d’accord, et ce n’est pas la tâche la plus simple. Entre les partisans du tout forfait, ceux du « on ne change rien pour nous car ça ne va pas si mal tant qu’on ne touche pas à nos acquis », et ceux qui croient au père Noël… ».
« Hé bien, au risque de vous choquer, je préfère ceux qui croient au père Noël, car nous sommes des libéraux! Et rien ne nous empêchera de défendre ce tournant libéral que nous exigeons tout en répondant à l’ensemble des problématiques actuelles! »
« Tu as raison, Empatix! » s’emporta Décaféine, notre nouvelle installée barroudeuse fan de médecine humanitaire. « Cet été, les 15 euros des Soins Non Programmés, ça a marché ! Les actes complexes et de prévention lors de la crise sanitaire, ça a marché! La PDSA, ça a marché ! Les urgences dans les cliniques privées, ça marche – sous peu qu’on s’en serve ! Quand le gouvernement écoute nos propositions, ça marche… Étrange, non ? »
« Nous pouvons répondre à toutes les demandes ! Réduire les inégalités d’accès aux soins, tout miser sur la prévention, accueillir de nouveaux patients, et prendre le virage du numérique, le tout en travaillant en équipe. Mais il y a un préalable sur lequel nous ne fléchirons pas. Le médecin généraliste est un expert du soin, de la synthèse et du patient complexe. Il ne peut plus y avoir un seul acte pour une telle diversité de demandes. Nous exigerons une hiérarchisation des actes avec la création d’actes complexes, et une remise à plat des forfaits. Cette dérive des dernières années n’est plus possible, nous devons pouvoir financer notre exercice libéral avec des tarifs adaptés, en toute indépendance ! Quant aux autres spécialités cliniques, elles ont urgemment besoin d’une revalorisation de la valeur de leur expertise. »
« Et sinon ? » osa Heurfix.
« Ils ne mesurent pas à quel point la profession est à bout. Les jeunes, qu’on veut envoyer la fleur au fusil là où il n’y a plus d’état, les anciens, dont on ne reconnaît pas le travail de toute une vie, et tous ceux qui aiment leur métier et qui voudraient simplement qu’on leur laisse l’exercer en paix ! Ils sont sur une poudrière ! » hurla Aspirine dans une ébullition qui lui est propre.
Cette feuille de route plut à la majorité d’entre nous. C’est parti pour la négociation de la dernière chance.