Nous sommes en 2023. Toute la Gaule se vide irrémédiablement de ses médecins.
Toute ? Non ! Quelques villages peuplés d’irréductibles praticiens gaulois résistent encore et toujours à la morosité. Et la vie n’est pas toujours facile pour ces valeureux guerriers.
Ce n’était donc pas un fake : 1,5 euros d’augmentation, et aucun chiffre sur les autres actes, telle est la généreuse proposition de la CNAM. Autant dire que la potion magique que pensait avoir concocté notre chef Epigastrix, semble s’être transformée en soupe à la grimace.
« C’est la faute aux jeunes… lance un Ankylosix agacé. Ils ne veulent plus s’installer. Tout cela n’arriverait pas s’ils avaient le courage de leurs aînés. » Il n’en fallait pas moins pour faire bouillir Aspirine, la trentenaire du village, généraliste écolo toujours à vélo (sauf en vacances, ben oui on ne se rend pas en Amérique du Sud à deux roues…).
« Ils veulent nous diviser, très cher. Jeunes-vieux, libéraux-hospitaliers, généralistes-spécialistes, et médecins – reste du monde. Ne tombons pas dans ce piège. Ils gèrent mal depuis des années, il faut un bouc émissaire, il est facilement trouvé.
– La nature a horreur du vide, explique Moustachix. Les infirmières, les pharmaciens, ils sont parfois seuls dans ces déserts médicaux. Là où les médecins ne sont plus, d’autres prennent le relais. Nous devons trouver des solutions.
– Je n’ai pas de responsabilité populationnelle, lui lance Heurfix, le non-moins trentenaire spécialiste. C’est du charabia inventé par ceux qui au lieu d’être fiers d’être des médecins, ont préféré vivre de subventions et de contraintes !
– Tu es gentil, lui réplique Encyclopédix, notre mémoire vivante du syndicalisme, mais les honoraires libres ayant été gentiment fermés aux généralistes en 1991 sans que les spécialistes ne s’en soucient, il fallait bien exister. Et de toute façon, c’est un débat d’avant-garde : les soins primaires, c’est défini partout de manière claire et précise. Va sur le site de la WONCA. Non, le problème, c’est que l’état cherche surtout à faire des économies, que la qualité lui importe peu, et qu’il veut donner le soin primaire au moins coûteux.
– Les propos de Brownix, notre ministre, sont quand même d’une rare violence contre les libéraux, s’emporte Babinskix. On ne travaille pas assez ? Vraiment ? Pour résumer sa pensée, le médecin traitant, c’est la gestion du chronique, mais il doit être aussi disponible pour les urgences ? Les fameux rendez-vous « ce n’est rien, docteur, prenez moi entre-deux, comme si j’avais à disposition une troisième dimension où le temps s’arrête au bon vouloir de ces chers patients. Les spécialistes, ils doivent donner un avis d’expert et analyser une situation complexe, mais en dix minutes ? Il faut développer l’exercice mixte libéral – salarié, mais ce libéral doit travailler autant que s’il n’avait pas un mi-temps à côté ?
– On flatte le peuple, alors on montre les muscles, explique Décaféine, notre médecin revenu de l’humanitaire : ces médecins, on va les mettre au pas ! 35 samedis par an, des gardes le soir, cinq jours par semaine, hop, hop, c’est fini de se la glander ou pas ? Les hospitaliers travaillent bien 35 heures par semaine, vous ce sera 35 samedis par an. Et pas de discussion. »
C’est alors que notre consœur venue de la Réunion, Necourbepasléchine, prit une envolée lyrique.
– Les amis, depuis quand nous résignons-nous ? Ce n’est ni l’attitude d’un gaulois, ni d’un médecin. Prenons soin de nous comme nous prenons soin des autres. Ils veulent nous diviser ? Unissons-nous. Ils veulent nous affaiblir ? Devenons plus forts. Ils veulent nous supprimer ? Réinventons-nous.
– Bravo, chère amie, l’embrassa Epigastrix, dans son enthousiasme contagieux et résolument volontariste. Nous avons les clés pour sortir par le haut de cette période trouble : ne lâchons rien, le match n’est jamais fini avant sa dernière seconde, dépassons nos clivages et trouvons notre dénominateur commun, c’est pour notre survie, c’est pour le bien de nos patients !
Retrouvons-nous tous à Lutèce, le 14 février, pour parler d’une même voix !
Le volontarisme : l’ingrédient indispensable de notre potion magique.