– Ah, les spécialistes en grève, on n’en a pas parlé ? s’inquiète Heurfix.
– Pas trop, moins visible. Et les journalistes ont rabâché qu’un généraliste gagne 92 000 euros annuels. En passant bien vite sur le fait que c’était en 54 heures de travail hebdomadaire.
– Globalement, les reportages nous étaient plutôt favorables, temporise Empatix.
– Ça a fermé à 80% dans certaines régions. Il se passe quelque chose, appuie Expertix.
– Ce qui se passe, c’est qu’on en a ras le bol. Nous ne sommes pas responsables des déserts ni des déserts médicaux ! Nous répondons présents à toutes les crises. Nous ne comptons pas nos heures. Et non seulement on ne nous revalorise pas, mais on veut nous remplacer par des para-médicaux ou des machines. On ne vaut pas grand-chose à leurs yeux, quoi ! s’écrit Aspirine, les yeux remplis de larmes.
– Sèche tes larmes, jeune apprentie, lui dit Empatix. La lutte ne fait que commencer.
C’est à ce moment qu’Ankylosix, notre doyen ressorti de sa torpeur à l’appel de la grève, se lève, et regarde dans les yeux la jeune généraliste.
– « Larmes aux fleurs suspendues,
Larmes de sources perdues
Aux mousses des rochers creux ;
Larmes d’automne épandues,
Larmes de cors entendues
Dans les grands bois douloureux. » *
– Depuis son burn out lors du covid, il ne s’exprime qu’en vers ou en citation, chuchote Empatix à Aspirine, prise de court. En revanche on ne reconnaît pas toujours l’auteur…
Décaféine, notre nouvelle installée revenant de dix ans de médecine humanitaire, décide de ramener la discussion à un niveau plus… syndical !
– Ça met la pression à Assurancemaladix, le patron de la Cnam. Tu as lu la lettre qu’il nous a adressée ? Ça bouge, ça bouge…
– Il a de quoi avoir la migraine. Une telle mobilisation ne s’était pas vue depuis plus de vingt ans.
– Mais certains ne se reconnaissent pas dans ce mouvement. Sur le diagnostic on est tous d’accord, mais pas sur le traitement, pointe Speedix, notre généraliste nordiste hyperactif. Notre formule G à 30 et un assortiment de consultations complexes à G2 me séduit pourtant bien plus.
– La profession va devoir s’unir et trouver le dénominateur commun, c’est une nécessité.
– Les coordinations de 2002 avaient fini par être portées par nos syndicats. Médecins pour demain ne doit pas croire qu’ils peuvent court-circuiter le dialogue syndical ! remarque Syndicalix.
– Ils représentent une base qui ne s’exprime pas souvent, et largement oubliée, fait remarquer Empatix. Leur discours, même si je n’y adhère qu’en partie, a permis de mobiliser beaucoup de monde. Continuons d’être prudemment derrière eux, car si ce sont Liberalix et Plateautelix qui les récupèrent entièrement, le mouvement fera pschittt, comme d’habitude.
– En tout cas, notre ministre Brownix ne s’est pas dégonflé. Il a été plutôt bon dans la foule qui était restée malgré le froid, avenue de Segur.
– Et si on invitait Assurancemaladix à débattre ? En direct face à Empatix.
– On va exploser les audiences. Sur le C à 50 ?
– 50 sans condition, il faut arrêter de rêver. Nos propositions sont fortes, mais plus nuancées que ça.
– On intitulera ça 50 nuances de la CNAM… dit Ocytocine, notre gyneco. Ça fera le buzz !
– La lutte passe par le débat et la force de persuasion.
– Il doit comprendre que le médecin généraliste a besoin de retrouver sa dignité.
– « La dignité est dans la lutte, pas dans l’issue du combat. » *
C’est par cette citation d’Ankylosix que la petite assemblée se quitta, prête à préparer le grand débat Empatix/Assurancemaladix de la semaine prochaine. A suivre…
* Les vers sont extraits du poème Larmes, d’Albert Samain, la dernière citation est de Pierre Billon.
Mickael Riahi
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