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La liberté d’installation en question

Nos solutions face au défi de l’accès aux soins

Conférence de presse du 28 septembre 2022

Il y a quelques jours, l’OMS alertait sur le vieillissement des médecins en Europe. Selon l’OMS, il s’agit d’une bombe à retardement démographique qui menace nos systèmes de santé. Ce cri d’alarme, lancé par l’OMS mercredi dernier, fait état des données suivantes :  40% des médecins ont plus de 55 ans dans ⅓ des pays d’Europe et d’Asie Centrale, dont la France. L’OMS s’inquiète du risque de provoquer des situations de pénurie dans les années à venir. La situation est pourtant déjà extrêmement tendue en France où il est difficile de trouver un médecin généraliste traitant, mais également de trouver un médecin spécialiste dans un délai et une proximité nécessaire pour l’ensemble de nos concitoyens. Je rejoindrais volontiers les propos récemment tenus par Monsieur Eric CHENUT, Président de la Mutualité Française, rappelant que “le droit à l’accès à la santé est un droit constitutionnel mais nous ne sommes pas au rendez-vous de cette promesse républicaine quand 5 millions de français n’ont pas de médecin traitant”. Nous savons malheureusement que les chiffres sont  même aujourd’hui certainement au-delà et que nous dépassons probablement le chiffre de 6 millions de français qui n’ont pas de médecin généraliste traitant. Si pour la moitié d’entre eux, ils n’avaient pas de médecin traitant, l’autre moitié a vu son médecin cesser son activité. Plus grave encore, plus de 620 000 patients en ALD n’ont aujourd’hui pas de médecin traitant.

Alors que faire ?

La semaine dernière, les syndicats médicaux représentatifs de toute génération étaient réunis à l’Assemblée Nationale à l’initiative de plusieurs députés dont Monsieur Guillaume GAROT au sein d’un groupe dénommé le Groupe Transpartisan. Ce groupe a déposé au cours de l’été 10 PPL visant à restreindre la liberté d’installation ou à instaurer une coercition pour les médecins libéraux et en particulier pour les plus jeunes débutant leur activité professionnelle. La CSMF s’est maintes fois exprimée sur ce plan. Nous sommes farouchement opposés à toutes mesures de coercition qui toucheraient les médecins libéraux et cela pour plusieurs raisons :

  •  d’une part, cette coercition, déjà employée dans d’autres pays, ne fonctionne pas. Cela a été le cas de l’Allemagne, ou encore du Canada si je me réfère au rapport publié par la DREES en décembre dernier.
  • d’autre part, cette tentative de coercition ferait courir un grand danger à notre système de santé. Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est parce que depuis 40 ans, les politiques publiques votées par la représentation nationale ont conduit, au travers d’un numerus clausus extrêmement dur, à réduire pendant des années le nombre de médecins en formation et ce pour des raisons purement économiques. A l’époque, mes prédécesseurs à la tête la CSMF mais aussi de nombreux doyens de faculté de médecine s’en inquiétaient, mettant en avant l’absence de prévision face à de telles mesures qui faisaient courir un risque démographique. En effet, nous savions déjà que les effets du baby-boom conduiraient de nombreux médecins français à prendre leur retraite dans ces années 2010-2020-2030. Nous manquons aujourd’hui de médecins partout : en médecine libérale, dans les villes et dans les campagnes, dans les établissements de santé publics et privés, universitaires ou non, dans les différentes organisations professionnelles. Faire courir le risque d’une coercition ou d’une limitation de la liberté d’installation pousserait assez probablement nos jeunes confrères vers un exercice salarié et laisserait ainsi vacants de nombreux territoires qui ne trouveraient plus de médecins traitants ou d’autres médecins spécialistes dits de second recours. Cela est d’autant plus dangereux que la médecine de ville, par son agilité, a été le principal acteur face à la crise de la COVID mais a été aussi, et je reprends là les propos du Ministre de la Santé, Monsieur François BRAUN, “le principal acteur qui a permis en utilisant la boîtes à outils proposée dans la Mission Flash, de passer un été 2022 moins catastrophique que nous le craignions”.
  • en sus, et surtout finalement, les dernières données rapportées il y a quelques jours par Madame Agnès FIRMIN LE BODO font état d’une répartition des médecins généralistes libéraux beaucoup plus équilibrée au niveau national que peuvent l’être deux professions de santé, elles soumises à une régulation, que sont les infirmières libérales et les kinésithérapeutes selon une source DREES de 2019.
  •  enfin, et vous en conviendrez,  la coercition ne sied pas à un exercice libéral où la liberté, accompagnée du sens de la responsabilité, doit être au cœur de nos décisions.

Cette analyse que conduit la CSMF en premier lieu, mais également les autres syndicats représentatifs mais aussi les représentations des jeunes médecins est unanime. Alors que faire? Que faire aujourd’hui face à cette situation inédite pour notre système de santé? Permettez-moi d’avancer un certain nombre de pistes proposées par la CSMF pour répondre au défi de l’accès aux soins et mieux répondre aux besoins de soins de la population française.

A nos yeux, cette boîte à outils doit s’appuyer sur trois principaux piliers :

  • favoriser l’expertise du médecin afin de libérer du temps soignant, du temps médecin
  • favoriser l’exercice coordonné car seuls, nous les médecins, nous ne répondrons pas aux enjeux de la situation de notre système de santé
  • se concentrer sur l’attractivité de nos métiers.

Valoriser l’expertise du médecin afin de libérer du temps soignant, vous l’aurez compris, cela fait appel à la hiérarchisation en quatre niveaux de consultations telles que la CSMF l’a imaginée il y a longtemps déjà. Mais cette fois, dans le cadre d’une politique de droits et de devoirs, dans le cadre d’une politique de liberté et de responsabilité, nous avons travaillé ces quatre niveaux de consultation mais aussi imaginé des fréquences différentes de ces consultations. Je donne deux exemples : valorisons un niveau de consultation plus élevé qu’on appelle un niveau 2 qui chez nous doit être à 60 euros pour la première consultation chez son médecin généraliste ou spécialiste. Valorisons également la prise en charge de patients en ALD mais aussi des pathologies chroniques stabilisées afin que le médecin puisse recevoir son patient deux fois, trois fois dans l’année, peut-être en alternance avec un autre professionnel de santé, et je pense entre autres à l’infirmière en pratiques avancées chez un patient ayant une maladie stable sous traitement afin de libérer ainsi du temps soignant.

Le deuxième enjeu pour nous est l’exercice coordonné. Vous savez combien nous mettons en avant les équipes de soins, les équipes de soins primaires, mais aussi les équipes de soins spécialisées, là aussi terminologie inventée en ces murs, ici, chez nous, à la CSMF et qui est mon modèle d’exercice comme vous le savez. On pourra en discuter lors des questions/réponses. La finalité étant que les spécialistes d’une même spécialité ou prenant en charge une même pathologie en lien avec les autres modèles de coordination (équipes de soins primaires, maisons de santé pluridisciplinaires, CPTS bien sûr et tout autre mode d’exercice) puissent être le bras armé, l’offreur de soins de cette médecine spécialisée, avec la nécessité de se coordonner, avec la nécessité de s’appuyer sur de la télémédecine, de la téléconsultation, de la télé-expertise, de la télésurveillance, afin de donner une réponse immédiate aux patients et aux médecins traitants mais également afin de favoriser l’exercice sur sites distincts, ce qu’on appelle les consultations avancées. C’est une nécessité. C’est une nécessité pour les médecins spécialistes, c’est une nécessité pour les médecins généralistes et nombre d’entre eux ont déjà adopté ce modèle entrepreneurial de l’exercice médical  Prenez l’exemple de Luc DUQUESNEL en Mayenne mais aussi par sa secrétaire générale Sylvaine LE LIBOUX en région Centre Val de Loire. Prenez l’exercice du Dr Bertrand LEGRAND à Tourcoing. Chacun a, à sa façon, développé une organisation efficiente. J’assistais il y a quelques jours aux 6èmes Etats Généraux de la Santé en Région qui se tenaient chez moi, à Reims. Les deux exemples donnés à Signy Le Petit d’une part et au sein de la maison de santé pluridisciplinaire de Saint Martin sur le Pré sont exemplaires. Voilà des médecins qui se sont organisé dans un modèle entrepreneurial de leur exercice médical, à plusieurs, en lien avec d’autres professionnels, ayant salariés dans leur structure des IPA, des infirmières asalées et des assistants médicaux, travaillant en lien avec les autres professionnels de santé libéraux mais ayant également ouvert des consultations à distance, comme nous le faisons en médecine spécialisée pour beaucoup d’entre nous. Donc, organisons nous en équipes. Alors évidemment, je faisais mention de la télémédecine, c’est une des clés de la réponse dans le respect de la rigueur qui sied à cet exercice et je reprendrai les propos tenus par Thomas FATOME sur TF1 il y a quelques jours, disant qu’il allait mettre fin, et nous savons maintenant  que c’est au travers du PLFSS que sera mis fin à ce que le Directeur de l’Assurance Maladie a appelé le “far west” de la télémédecine. Notre discours est simple : la téléconsultation et la téléexpertise, sont des atouts qui favorisent l’exercice et l’accès aux soins. Elles doivent venir en renfort de l’exercice médical présentiel physique sur les territoires et non pas en concurrence et là où l’exercice a été organisé et il y a encore beaucoup d’endroits où c’est organisé, et chaque jour un peu plus. Là où l’exercice est organisé, le remboursement de cabines de téléconsultations à quelques dizaines de mètres des cabinets médicaux d’une organisation, d’une SISA, d’une équipe de soins primaires, d’une équipe de soins spécialisés, n’a pas lieu d’être. Et puis dans les solutions à imaginer, on pourrait citer les transports des usagers vers les cabinets médicaux. On a vu, dans la boîte à outils issue de la Mission Flash, le remboursement possible de transports régulés vers les cabinets médicaux. Il faut aller plus loin. Les communes et les communautés de communes ont un rôle majeur à jouer. Inventons  des bus verts santé, comme il y a des bus scolaires, et comme il y a des bus qui ramènent les français à la plage pendant les vacances estivales.

J’ai déjà largement abordé tout à l’heure en parlant de l’exercice en équipe, de la nécessité de la coopération avec les autres professionnels de santé. Permettez-moi de consacrer un moment à l’attractivité et à la formation des plus jeunes. Vous avez lu comme nous, nous ne sommes pas les seuls à y être confrontés. En faculté de pharmacie, 30% des postes sont laissés vacants… Nous devons travailler l’attractivité des métiers de la santé et aujourd’hui, nous devons apporter des solutions à court mais aussi à moyen et à long terme. A court terme tout d’abord. Hier encore, j’ai enjoint le cabinet du Ministre à être à l’écoute des étudiants en médecine représentés par l’ANEMF et les internes représentés par l’ISNI et l’ISNAR-IMG. On ne réforme pas contre les jeunes médecins. Ils ne refusent pas la 4ème année de l’internat en médecine générale. Ils demandent que celle-ci soit professionnalisante, qu’elle puisse se faire en lien avec leur projet professionnel. Ils ne veulent pas être la variable d’ajustement dans les déserts médicaux. La CSMF les comprend et les soutient. La CSMF a d’ailleurs proposé aux jeunes médecins d’écrire un communiqué de presse qui devrait avoir le soutien de tout le G19. La CSMF propose que cette 4ème année puisse majoritairement avoir lieu en médecine de ville et que les internes soient accueillis dans les lieux d’exercice de leur MSU, ces derniers étant alors incités à ouvrir des consultations avancées. A moyen et à long terme. Je suis très attaché à l’ascenseur social qui existe au sein de notre démocratie et pourtant, il y a aujourd’hui quatre fois moins d’étudiants en médecine qu’il y a 20 ans issus de la ruralité. Il y a aujourd’hui deux fois plus d’étudiants en 2ème année de médecine issus de grandes villes et de milieux socioéconomiques favorisés. C’est à la fois un problème sociétal et un enjeu d’égalité cher à notre démocratie mais c’est aussi un enjeu dans la répartition des médecins. Il sera plus facile pour un médecin issu de la ruralité de s’y installer. Il en va de même pour les banlieues.

Et puis vous me permettrez d’aborder un autre sujet qui est celui des rendez-vous non honorés. On a pu l’évoquer avec notre Ministre François BRAUN. C’est un sujet qu’il nous faut débattre. Le nombre de rendez-vous non honorés malgré les plateformes de prise de rendez-vous en ligne augmente, partout, pour tous. C’est un problème de civisme. Je pense qu’il faut dans un premier lieu mener une action d’information auprès de la population, et qu’il faudra aller plus loin si l’information ne permet pas à ce phénomène de régresser rapidement pénalisant ainsi celles et ceux qui attendent des rendez-vous.

Voilà, il y aurait tant d’autres sujets à évoquer, à commencer par le sujet très important de celles et ceux de mes confrères en complément emploi-retraite. C’est une activité à favoriser. Ils sont 13000 aujourd’hui. Nous pouvons en avoir plus mais nous pourrions également en avoir moins si nous n’y prenions pas garde. Soyons sur ce plan, vigilants, et réfléchissons à des conditions d’exercice meilleures que celles qui leur sont faites aujourd’hui.

Avec Luc Duquesnel et Bruno Perrouty, nous vous laissons le soin  d’aborder d’autres sujets qui eux aussi ont pour finalité de libérer du temps médecin comme peuvent l’être, par exemple, la rédaction d’un certain nombre de certificats qu’on pourrait presque qualifier d’abusifs puisque ne répondant pas à une réglementation précise. Par exemple, aller chercher un certificat a posteriori parce qu’un enfant n’a pas été à la crèche doit nous interroger à l’heure où le temps médecin est compté.