Mesdames, Messieurs,
Chères Consœurs, Chers Confrères,
Chers Amis, Chers Partenaires de la CSMF,
Au nom de notre Conseil d’administration je suis très heureux de vous accueillir ici, à la Domus Medica, pour cette traditionnelle cérémonie de vœux. En tout premier lieu, permettez-moi de vous souhaiter une très bonne année 2024 et de vous présenter mes meilleurs vœux pour vous et vos proches.
Avant de décliner les principaux enjeux pour l’année 2024 pour la CSMF et la médecine libérale, analysons ensemble les principaux évènements qui ont émaillé l’année 2023.
Pour les médecins libéraux, 2023 restera l’année des frustrations, des conflits et de l’échec des négociations conventionnelles.
Des frustrations car, après le Ségur de la Santé dédié à l’hôpital, le Gouvernement s’était pourtant engagé à valoriser enfin la médecine libérale. Nous n’avons pas oublié les propos du Ministre Olivier Véran nous affirmant que “notre Ségur” serait la convention médicale… De la frustration à l’échec, il n’y a qu’un pas.
L’échec des négociations conventionnelles restera le point marquant de l’année 2023, pour les médecins bien sûr, mais pour les français qui n’en peuvent plus de la dégradation de leur système de santé. Et cet échec, c’est celui de l’absence de moyens. Car, osons dire les choses. Si le CET, le contrat d’engagement territorial, a été proposé, c’était bien pour masquer l’absence de moyens à offrir à la médecine de ville, moyens dont elle a cruellement besoin pour soigner les français. La finalité première du CET n’était pas de contraindre pour contraindre mais bien de ne proposer des valorisations qu’à une petite partie des médecins libéraux.
Ne nous faisons aucune illusion. Comme je l’ai rappelé au Ministre Aurélien Rousseau lors du discours d’ouverture de nos 29ème universités, les français, dont la santé est devenue une des deux première préoccupation, tiendront responsables les politiques qui n’ont pas pu ou su mettre en œuvre une politique de santé leur donnant un égal accès à des soins de qualité. Et sur ce plan, ne nous trompons pas de cible. Souvenons-nous du sondage Elabe-Les Echos-Institut Montaigne paru début novembre 2023 : plus de 90% des français ont une très bonne image de leur médecin mais 64% d’entre eux considèrent que leur système de santé fonctionne mal. Et ce ne sont pas les PLFSS à l’ONDAM en baisse par rapport à l’inflation, ce ne sont pas les PLFSS au virage réglementaire ouvrant sans concertation le champ du transfert de compétence à des professions paramédicales, qui amélioreront la situation, bien au contraire. La santé est l’affaire de tous et les métiers évoluent, mais le rôle, les missions et les fonctions du médecin sont spécifiques et les français l’ont parfaitement compris. La délégation de tâches et le partage de compétences dans un parcours centré sur le médecin de famille sont inéluctables. Mais “vouloir le transfert de compétences en se passant du médecin relève du mirage », pour employer les mots d’Aurélien Rousseau à Arcachon lors des universités de la CSMF.
Des frustrations en ce qui concerne nos régimes de retraites :
- alors que le Gouvernement s’était engagé à augmenter la valeur du point de service de l’ASV (Allocation Supplémentaire Vieillesse) en tenant compte de l’inflation, il a fallu attendre le JO du 30 décembre 2023 pour obtenir une revalorisation de 2%, bien éloignée des 4,9% de l’inflation 2023. Or l’ASV c’est 33% de la retraite des médecins. Au 1er janvier 2024, le régime de base (22% de la retraite des médecins) a augmenté de 5,3%. Avec ces 2 points d’ASV, le Gouvernement aurait-il décidé de pénaliser les médecins libéraux en baissant ainsi leur pouvoir d’achat ? La question mérite d’être posée à notre nouvelle Ministre.
- rien non plus en ce qui concerne l’acquisition de nouveaux droits pour les médecins en cumul. Ils sont 13 000. La réforme des retraites prévoit au 1er janvier 2024 l’acquisition de nouveaux droits pour le régime de base. Interpellé à ce sujet par la CSMF l’été dernier, le Ministère de la Santé ne nous a fait aucun retour concret au sujet de l’acquisition de nouveaux droits pour le régime ASV. Là aussi, il est difficile de ne pas y voir une absence d’écoute, voire une volonté délibérée de se priver de ces médecins en cumul… La CSMF demandera à Mme Vautrin un engagement clair sur ce sujet.
- Quant à la CARMF, à notre connaissance, la revalorisation du point ne sera que de 2,59% en 2024 sans tenir compte de l’inflation 2023 et aucune décision n’a été prise sur l’acquisition de nouveaux droits en cumul en ce qui concerne le régime complémentaire vieillesse qui représente 45% de la retraite des médecins libéraux. A quelques semaines des élections de nouveaux délégués et d’un futur président de la CARMF, la CSMF soutient la campagne du SN-MCR et appelle à voter pour ses listes sous le slogan “Sauvegarder nos retraites et construire leur avenir”
L’année 2023 restera aussi celle des conflits, marqués par la manifestation du 14 février et la grève du 13 octobre pour lutter contre les mesures coercitives des propositions de loi Rist ou Valletoux. Il a fallu manifester mais aussi travailler sans relâche pour amender et convaincre les parlementaires que la santé devait rimer avec la qualité et l’accès aux soins avec l’attractivité.
Politiquement, le principal fait marquant de l’année 2023 restera la valse des Ministres de la Santé. Nous en sommes au 7ème depuis 2017… et au 5ème en 18 mois ! Alors que les Français n’en peuvent plus de la dégradation de l’état de leur système de santé et de leurs difficultés croissantes d’accès aux soins, le Gouvernement et le Chef de l’Etat ont semblé, jusqu’ici, assez peu s’en préoccuper. Pas un mot du Président de la République sur la Santé lors de son message de vœux à la Nation… Sa dernière prise de parole sur ce sujet, avant hier soir, remonte à l’interview donnée sur France 5 le 20 décembre où Emmanuel Macron a clairement annoncé qu’il fallait aller vers une rémunération des médecins à la capitation plutôt qu’à l’acte isolé. La capitation… cette capitation chère à nos voisins anglais et qui a montré ses limites ou plutôt qui a abouti, depuis longtemps, à une situation sanitaire catastrophique en Grande Bretagne.
Et que dire de l’intervention du Président de la République d’hier soir ? Rien ou presque sur la Santé dans son propos liminaire. Mais une très longue séquence y a été consacrée dans les questions réponses, comme si les journalistes, eux, avaient compris que la Santé était une préoccupation majeure des français. Je ne vais pas vous cacher que du côté de la CSMF, on s’attendait à mieux ! Penser que la capitation, la téléconsultation dérégulée et le transfert de compétences vont résoudre l’accès aux soins des français c’est un peu court. Si c’est cela le choc d’attractivité, Emmanuel Macron sera le Président qui aura définitivement enterré la médecine libérale et ainsi aggravé un égal accès à des soins de qualité !
Après le Ministre François Braun, remercié par la Première Ministre, après le Ministre Aurélien Rousseau, démissionnaire suite au vote de la loi sur l’immigration, après la Ministre Agnès Firmin Le Bodo, ministre par intérim empêtrée dans une affaire de conflits d’intérêts, voici Catherine Vautrin nommée à la tête d’un large Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités. Une champenoise. Une élue locale expérimentée à la tête du Grand Reims depuis 10 ans. Un très large Ministère aux mains d’une femme politique de terrain qui connait bien la santé, et les champenois le savent bien. Nous souhaitons à Madame Catherine Vautrin d’être La Ministre de la Santé que les médecins et les français attendent. En observateur attentif, chacun d’entre vous aura noté que nous n’avons pas fait partie du clan de ceux qui ont déjà lancé des critiques acerbes à son endroit. Non pas par complaisance mais parce que nous savons que la Santé ne lui est pas étrangère. Et parce que nous avons déjà connu sous Xavier Bertrand un très large Ministère, et que cela lui donne un poids politique différent. Il suffit pour s’en convaincre de se pencher sur l’ordre protocolaire du Gouvernement de Gabriel Attal. La CSMF prend acte de l’arrivée de Catherine Vautrin. Nous resterons extrêmement attentifs à ses premières prises de décisions. Son premier déplacement, en compagnie du Premier Ministre, samedi dernier au CHU de Dijon, a été l’occasion d’une annonce qualifiée d’importante par Gabriel Attal: le Gouvernement débloquera 32 milliards d’euros sur 5 ans pour la Santé. Cependant, cette enveloppe n’est pas nouvelle. Elle a été votée dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques en décembre dernier.
Est-ce encore un effet d’annonce visant à tromper les français et leurs médecins ou est-ce enfin le signe que nous passons des promesses aux actes ?
Si, comme les soignants du CHU de Dijon l’ont rappelé, “l’hôpital est en train de mourir”, nous savons tous que la médecine libérale sera le sauveur de l’hôpital. Le virage ambulatoire, le SAS, les soins non programmés, les consultations avancées, les parcours de soins, les équipes de soins primaires et spécialisées, le premier recours, la très grande majorité des consultations et des actes techniques,… c’est ça la médecine libérale ! La médecine de ville est la porte d’entrée dans notre système de santé. Elle a une efficience que personne ne peut lui contester. La solution à l’engorgement des urgences sera la médecine libérale ou ne sera pas. Et cela passe par le choc d’attractivité promis par le Gouvernement d’Elisabeth Borne. Et cela ne peut plus attendre. Il en va de l’accès aux soins. Il en va de la qualité des soins. Il en va du pacte social qui unit notre société.
Après les promesses non tenues, après un Ségur de la Santé uniquement dédié à l’hôpital, la CSMF demande à la Ministre des choix clairs sur ces 32 milliards d’euros. Et pour la médecine libérale, cela commence dès aujourd’hui afin que les négociations conventionnelles soient celles de l’attractivité de la médecine de ville. C’est ainsi que nous refonderons notre pacte social, c’est comme cela que nous répondrons à l’attente des français.
2024 doit être l’année d’un virage ambulatoire, l’année d’un virage vers la médecine libérale oubliée depuis trop longtemps. L’année du médecin de famille. L’année d’un meilleur accès aux médecins spécialistes. L’année de la revalorisation de l’expertise médicale. Vouloir attirer des médecins avec une consultation à 26,50 € est un leurre. Vouloir attirer des médecins alors que les tarifs de leurs actes techniques sont gelés depuis 1994 s’oppose au concept même de l’attractivité… Nous rendrons attractif le métier de médecin de ville si son expertise est valorisée. Nous rendrons attractif le métier de médecin de ville si ses conditions d’exercice répondent aux aspirations de tous les médecins, à commencer par les plus jeunes.
N’en déplaise à certains, et malgré leurs attaques personnelles dont j’ai récemment fait l’objet, la CSMF ne demande pas une consultation de base à 50 €. Comme d’ailleurs, elle n’appelle pas au déconventionnement ou à l’ouverture du secteur 2 pour tous. Non, nous ne le demandons pas, parce que cela ne passera pas. Nous ne le demandons pas parce que nous assumons un discours de vérité à nos confrères. Mais nous ne le demandons pas aussi parce que cela pourrait encore dégrader l’accès aux soins alors que le programme et l’ambition de la CSMF visent à l’améliorer en valorisant l’expertise du médecin.
La mère des batailles pour cette année 2024 est celle de la convention médicale.
Le programme de la CSMF est ambitieux. Il repose sur une vraie valorisation de l’expertise médicale dans un contexte inédit d’inflation. Et cela passe par une hiérarchisation des consultations, ouvertes à tous, généralistes et spécialistes, qui donnera aux médecins les moyens de s’organiser, de travailler en lien avec des assistants médicaux et des IPA et de pouvoir ainsi s’occuper de plus de patients différents tout en préservant la qualité de vie des médecins. Nos demandes, économiquement atteignables, transformeront la vie du médecin de ville. Rendre attractive la médecine de ville, c’est valoriser son expertise et c’est assurer à nos médecins la reconnaissance de la nation. On ne peut pas un jour les applaudir et le lendemain leur tirer dessus ou les mépriser.
Alors oui, la CSMF revendique 3 niveaux de consultations :
- niveau 1 à 30 €
- niveau 2 à 60 € applicable 3 fois par an pour les suivis plus complexes
- niveau 3 à 75 €, pour certaines prises en charge très complexe
Ces consultations doivent être ouvertes à tous. Dans un souci de simplification, elles viendront écraser une NGAP (Nomenclature Générale des Actes Professionnels) devenue de plus en plus complexe.
Mais cela ne peut pas s’arrêter là… Qui peut raisonnablement comprendre que le coût de la pratique n’a pas bougé depuis plus de 20 ans ? Qui peut admettre que la valeur du point travail est le même qu’en 2005 ? Et que de nombreux actes sont au même tarif qu’en 1994 ? Cela ne peut plus attendre. On ne peut pas attendre la refonte des actes menée par le Haut Conseil de la Nomenclature pour revaloriser les actes techniques.
Mais cette convention doit aussi permettre d’associer des actes cliniques et des actes techniques, source évidente d’une amélioration de l’accès aux soins. Des propositions ont été faites en ce sens lors de la dernière multilatérale.
La règle d’association des actes techniques lors d’une même procédure doit également être revue. Nous le porterons lors des prochains focus.
La CSMF porte également une augmentation du Forfait Patient Médecin Traitant. Là aussi des propositions ont été faites par la CNAM, avec 3 solutions. Un mix des solutions augmentant la valeur du FPMT et la baisse de l’âge définissant une personne âgée doit être retravaillé. En revanche, à ce stade, la CNAM n’a pas retenu notre proposition du forfait file active pour les autres spécialités que la médecine générale. Nous continuerons à le défendre car il vise à améliorer l’accès aux soins des français.
Sans refaire devant vous le tour du contenu des négociations conventionnelles en cours, permettez moi cependant d’aborder quelques points précis qui méritent toute notre attention :
- La valorisation des médecins de famille et des médecins spécialistes qui s’engagent dans le soin non programmé et la permanence des soins, des médecins qui effectuent des visites à domicile qu’il soient médecins de famille ou de SOS médecins, mais aussi ceux s’engagent au sein de leur territoire, en particulier en réalisant des consultations avancées. La CSMF demande un engagement fort de la CNAM sur ces sujets.
- La pertinence et la qualité sont au cœur de nos attentes. La CSMF saura accompagner cette évolution sur ces critères reposant sur des recommandations scientifiques et professionnelles. Entendons-nous bien, s’il agissait d’aller vers une maîtrise comptable, la CSMF pèsera de tout son poids pour s’y opposer.
- la prévention. Comment construire un avenir sans ce virage du tout curatif à une médecine alliant le préventif et le curatif. Si la prévention est l’affaire de tous, un rdv de prévention n’est pas une consultation médicale de prévention, ni dans son contenu ni dans sa durée ni dans sa valeur.
- la situation particulière des médecins Corses et des médecins des DROM. L’insularité, l’éloignement, la croissance démographique de la population en situation régulière ou non pour certains territoires, comme c’est le cas de la Guyane, nécessitent des mesures spécifiques. La CSMF se réjouit d’avoir obtenu du Directeur Général de l’Assurance Maladie un temps d’échange dédié. Il en va d’un principe d’unité nationale et d’égalité dans l’accès aux soins.
- le secteur 2 et l’OPTAM pour tous : la CSMF demande évidemment un maintien des conditions d’accès au secteur 2 mais propose pour tous, un espace de liberté tarifaire solvabilisé, un OPTAM POUR TOUS, un secteur où les complémentaires santé seront responsabilisées pour valoriser l’expertise des médecins, leur permettant de répondre à l’enjeu du défi de l’accès aux soins. L’OPTAM POUR TOUS doit, en même temps, protéger les plus faibles et valoriser l’expertise médicale.
Si la mère des batailles pour 2024 est la convention médicale, si je continue à penser que son succès repose sur le choc d’attractivité qu’attend la médecine libérale, si je continue haut et fort à affirmer que cette fois-ci nous ne pouvons pas échouer et que je ne peux que rejoindre les mots du premier ministre “de l’action, de l’action, de l’action” mais surtout “des résultats, des résultats, des résultats”, le deuxième grand sujet de l’année et des années à venir sera celui de la démographie médicale. La convention doit y répondre en grande partie. Mais la CSMF a déjà fait part à la Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités de propositions concrètes pour avancer sans tarder sur ce chantier capital pour nos concitoyens et notre système de santé. Et pour nous, ces propositions sont avant tout centrées sur la formation associant la médecine de ville tant la médecine générale que la médecine spécialisée.
Enfin, je souhaite formuler l’espoir que cette année 2024 nous permette de redresser la tête, d’être l’année des “petits bonheurs des consult” pour reprendre le titre de la magnifique lettre hebdo des Généralistes CSMF signée sous la plume de notre vice-présidente le Dr Nadia Simon, d’être l’année qui nous rendra fiers et heureux d’exercer le métier de médecin libéral au service de nos concitoyens.
En vous remerciant pour votre attention, permettez-moi à nouveau de vous souhaiter une très bonne année 2024. Que celle-ci apporte le meilleur à chacune et à chacun d’entre vous.