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Dispositif d’accompagnement à la prescription : rupture de confiance entre CNAM et médecins ?

Depuis le 1er février 2025, la première application du Dispositif d’accompagnement à la prescription pour les analogues GLP-1 est entrée en vigueur.

Ainsi, le remboursement de 4 traitements pour le diabète, BYETTA (exenatide), TRULICITY (dulaglutide), OZEMPIC (sémaglutide) et VICTOZA (liraglutide), est désormais subordonné au renseignement par le prescripteur d’éléments relatifs aux circonstances et indications de la prescription sur un formulaire séparé et dédié.

L’objectif poursuivi par la CNAM serait de lutter contre les abus de remboursement de certains traitements antidiabétiques, alors que le patient ne souffre pas de diabète.

La CNAM dénonce également un mésusage grave de certains traitements antidiabétiques, dans un simple objectif de perte de poids en dehors de toute indication thérapeutique.

Le détournement de ces spécialités comporterait à la fois un risque pour la santé des patients mais aussi et surtout peut provoquer des difficultés d’approvisionnement pour les patients souffrant réellement de diabète.

Après un rappel du fondement juridique du Dispositif d’accompagnement à la prescription (1), il conviendra de s’interroger sur les conséquences pratiques d’un tel Dispositif, symptomatique de la rupture de confiance de la CNAM vis-à-vis des médecins (2).  

Le fondement juridique du dispositif d’accompagnement à la prescription

Pour être disponible sur le marché français, un médicament doit nécessairement obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) auprès des autorités sanitaires européenne (EMA) ou française (ANSM).

Ensuite, pour que le médicament soit remboursable par l’assurance maladie, le médicament est évalué par la Haute autorité de santé (HAS) pour déterminer son intérêt thérapeutique au regard des alternatives déjà existantes.

On parle alors d’indications thérapeutiques remboursables (ITR). Si une différence existe entre l’AMM du produit et ses ITR, c’est le champ de l’ITR qui lui donne accès au remboursement (selon une liste exhaustive des médicaments spécialisés remboursables, conformément à l’article L162-17 du Code de la sécurité sociale).

Depuis 2018, l’article L162-19-1 du même Code a ajouté une condition de prise en charge supplémentaire possible, subordonnant la prise en charge par l’assurance maladie d’un produit de santé au renseignement sur l’ordonnance par le prescripteur d’éléments relatifs aux circonstances et aux indications de la prescription lorsque ce produit présente « un intérêt particulier pour la santé publique, un impact financier pour les dépenses d’assurance maladie ou un risque de mésusage ».

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, du 28 décembre 2023, a ensuite intégré la possibilité que ces renseignements soient réaccueillis sur « un formulaire prévu à cet effet ».

Partant, le principe selon lequel la prise en charge d’un médicament par l’assurance maladie soit conditionnée à la délivrance d’un justificatif dédié sur les circonstances et indications de la prescription n’est pas nouveau et est prévu par la loi depuis plus d’un an.

En parallèle, l’article 61-4 de la nouvelle Convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie, approuvée selon arrêté du 20 juin 2024, est consacré à l’utilisation des « outils d’accompagnement à la prescription de l’Assurance maladie pour les molécules sélectionnées par le ministère ».

Les intentions de la CNAM étaient claires : elle donne d’ores et déjà l’exemple des analogues du GLP-1 en indiquant « on estime qu’un tiers des remboursements actuels de médicament de la classe des AGLP-1 est hors ITR ».

Autrement dit, d’après les estimations de la CNAM, un tiers des prescriptions des traitements pour le diabète sont remboursés par l’assurance maladie alors qu’ils ne le devraient pas.

C’est dans ces circonstances que le même article prévoit, au titre des engagements collectifs des médecins conventionnés, de « recourir au dispositif d’ « accompagnement à la prescription » développé par l’Assurance Maladie, en démarrant avec le dispositif d’accompagnement à la prescription sur les AGLP-1 » malgré l’opposition de la CSMF et d’autres syndicats signataires.

Pris en application de l’article 73 de la loi financement de la sécurité sociale pour 2024, le décret n° 2024-968 du 30 octobre 2024, relatif au document destiné à renforcer la pertinence des prescriptions médicales, est entré en vigueur le 1er novembre 2024.

Le décret précise que les renseignements imposés pour certains médicaments sont portés sur l’ordonnance ou sur un document dédié, joint à l’ordonnance, accessible notamment par téléservice. Ce document est présenté au pharmacien ou éventuellement à un autre professionnel exécutant la prescription. Il est également transmis à la caisse d’assurance maladie dont relève le patient, étant précisé que seul le service du contrôle médical de la caisse peut avoir connaissance des informations couvertes par le secret médical.

Enfin, les renseignements nécessaires sont précisés spécialité par spécialité, selon quatre arrêtés publiés le 10 janvier 2025.

A titre d’exemple, pour l’OZEMPIC le prescripteur doit renseigner l’âge du patient, la confirmation que le patient souffre de diabète de type 2 et l’existence ou non d’une association à d’autres médicaments destinés au traitement du diabète.

L’application du Dispositif d’accompagnement à la prescription pour les analogues du GLP-1

Aspects positifs d’application

D’une part, le dispositif ne porte pas atteinte au principe de liberté de prescription du médecin mais vise seulement à conditionner la prise en charge du traitement pas l’assurance maladie (conformément à l’article L162-19-1 du CSS précité).  

Concernant les traitements antidiabétiques, il convient de souligner que la HAS a déjà reconnu une indication thérapeutique de certains analogues du GLP-1 pour le traitement de l’obésité (donc sans que le patient souffre nécessairement de diabète) mais sans remboursement par l’assurance maladie.

Dans cette situation, le médecin prescripteur reste libre de prescrire le traitement et n’a pas besoin de remplir un formulaire spécifique.

En revanche, il doit préciser sur son ordonnance que le médicament est prescrit hors AMM (en application de l’article L5121-12-1-2 du Code de la santé publique) puisque les analogues concernés par le dispositif ont obtenu l’AMM que pour le traitement du diabète de type 2.

D’autre part, le prescripteur n’a pas besoin de remplir le formulaire à chaque prescription, un seul justificatif suffisant pour toute la durée du traitement du patient.  

Reposera alors la charge sur le patient de rapporter le justificatif à chaque délivrance de son traitement dans une officine, ou sur les pharmaciens d’enregistrer le justificatif du prescripteur dans son dossier (voire idéalement dans le DMP).

Critiques et réels enjeux

D’une part, le fait d’imposer au prescripteur de remplir un formulaire spécifique pour que le patient bénéfice de la prise en charge de son traitement diabétique va entrainer un alourdissement des tâches administratives qui pèsent déjà sur le médecin, rallongeant de facto le temps de consultation.

Ce Dispositif va d’autant plus surcharger le prescripteur qu’il concerne aussi bien les nouveaux traitements que les traitements en cours, ce qui signifie que le médecin devra s’assurer pour chaque patient en cours de traitement pour un diabète de type 2 s’il est bien en possession d’un justificatif.

Si le principe d’une nouvelle tâche administrative se justifie parfois par l’intérêt du patient et sa sécurité, en l’espèce cela n’empêchera pas un médecin de prescrire hors ITR et hors AMM un analogues du GLP-1 à un patient qui n’a pas de diabète.

La liberté de prescription du médecin étant respectée, ce dispositif ne répond qu’à la question financière du caractère remboursable ou non de la spécialité, et non de son indication thérapeutique.

D’autre part, l’obligation de remplir un formulaire revient à demander au médecin de confirmer qu’il fait bien son travail.

Le médecin va en effet confirmer, dès le stade de sa prescription, que le traitement diabétique est bien prescrit pour un patient souffrant du diabète et non dans une situation hors AMM, alors que le prescripteur a déjà l’obligation légale de préciser sur son ordonnance « prescription hors AMM » (conformément à l’article L5121-12-1-2 du CSP précité).

S’il existe des procédures de contrôle d’activité permettant aux Caisses primaires de s’assurer que le médecin a respecté ses obligations et les règles de facturation dossier par dossier sur une période antérieure précise, le gouvernement donne aujourd’hui à la Caisse un nouveau moyen de contrôle a priori que le prescripteur respecte l’ITR avant même de payer le traitement.

Il s’agit manifestement d’un détournement du principe du contrôle d’activité a posteriori et par la même occasion de l’ensemble de la procédure préservant le contradictoire et les droits de la défense du professionnel de santé.

Cette démarche est symptomatique des évolutions législatives des dernières années et de la nouvelle convention nationale : la Caisse n’a pas confiance dans la facturation et les prescriptions des médecins.

A titre de comparaison, le système de mise sous objectifs (MSO) permet à la Caisse d’imposer à un médecin de réduire la moyenne de ses prescriptions d’arrêts de travail sans même étudier, dossier par dossier, la situation du patient.

Néanmoins, pour la MSO la Caisse recueille dans un premier temps l’accord du praticien, sous forme de droit à formuler des observations.

Le Dispositif d’accompagnement à la prescription, pour sa part, va plus loin et ne laisse plus aucune place au dialogue entre le médecin et la Caisse et ne fait que surcharger tous les prescripteurs au seul motif que certains d’entres eux ne respecteraient pas les règles encadrant la prescription et les ITR.

Finalement, il aurait été plus judicieux et moins impactant de rechercher un autre moyen de s’assurer que le patient souffre bien de diabète et qu’il remplit les conditions de l’ITR : patient en ALD, traitements déjà en cours, contrôle des plus gros prescripteurs d’analogues du GLP-1, contrôle des spécialistes les moins susceptibles de prescrire un traitement antidiabétique…

Par faute de moyens de contrôle, la Caisse bénéficie d’un contrôle a priori au détriment de toute relation de confiance avec les médecins.

Fort heureusement, selon un communiqué du 30 janvier 2025 adressé de manière individuelle à tous les médecins, la Caisse annonce « une souplesse de 3 mois à compter de la date d’entrée en vigueur » aux professionnels « pour s’approprier le dispositif et laisser le temps aux patients de renouveler leur traitement le cas échéant ».

Pendant ce délai de 3 mois, un patient qui se présentera en pharmacie pour obtenir son traitement diabétique ne se verra pas refuser la prise en charge par l’assurance maladie au seul motif qu’il n’est pas en mesure de produire un formulaire de son médecin.

Reste à savoir si, d’ici le 1er mai 2025, l’appel au boycott de la CSMF sera entendu par la CNAM ou non.

Laure SOULIER – Margo BOISSON