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discours de notre Président pour l’ouverture de nos 29ème Universités

Monsieur le Ministre de la Santé et de la Prévention,

Monsieur le Directeur Général de la CNAM,

Monsieur le Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins,

Mesdames et Messieurs les Présidents de syndicats,

Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,

Chères Consœurs, Chers Confrères, Chers Amis,

C’est avec plaisir mais aussi avec beaucoup de gravité que j’ai l’honneur d’ouvrir avec vous, Monsieur le Ministre, nos 29èmes Universités. Honneur car votre présence parmi nous cet après-midi ne peut être que le témoin de l’attention que vous portez à la médecine libérale en générale et à la CSMF en particulier. Avec gravité, car vous prenez les rênes de votre Ministère dans un moment de tension que je qualifierais d’historique. Depuis les ordonnances de 1945 conduisant à la création de la Sécurité Sociale où chacun de nos concitoyens cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, jamais notre système de Santé n’a été dans une telle situation. Pendant trop longtemps, les politiques publiques ont considéré que la Santé était un coût excessif pour la Nation. Cela a d’ailleurs conduit à des politiques visant à réduire le nombre de médecins formés par un numérus clausus extrêmement dur. Et pourtant, nous savions. Oui, nous savions que nous allions manquer de médecins et d’autres professionnels de santé. Nous connaissions les effets de la transformation démographique de la France. Nous savions que le poids des maladies chroniques allait profondément bouleverser le métier de médecin. Nous savions que le départ massif des baby-boomers aboutirait à un “effet falaise”. Et nous savons encore aujourd’hui que les difficultés les plus grandes sont devant nous.

Et face à cette situation historique, à quelques jours d’un mouvement de grève sans précédent qui débutera dans une semaine, la CSMF prend ses responsabilités. Nous serons dorénavant le porte-parole inlassable de nos patients que nous croisons tous les jours et qui n’en peuvent plus. Monsieur le Ministre, face à cette situation historique, il eut fallu des décisions historiques. Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ?

On a continué à voter un ONDAM ne répondant pas aux besoins de soins de la population française. On a continué à accroître le déséquilibre entre l’hôpital public et la médecine de ville. Car, osons enfin nous dire les choses, notre système de santé marche sur 2 jambes. Mais les Gouvernements successifs n’ont eu de cesse d’entretenir un déséquilibre en défaveur de la médecine libérale, cette médecine libérale qui assume 8 consultations sur 10 et 60 à 80% de l’activité technique selon les spécialités. Le Ségur de la Santé en a été la démonstration provocante alors qu’il eut fallu tout faire pour maintenir un équilibre rationnel entre les libéraux et les hospitaliers. La complémentarité des exercices est pour moi une évidence. Ne pas investir sur la médecine de ville est à mes yeux illégitime et sans doute une faute. Qui n’a pas autour de lui un proche, un ami, un conjoint, un enfant qui a attendu des heures dans un service d’urgence. Qui n’a pas un parent qui n’arrive plus à se faire soigner, à trouver un rdv chez un médecin. Qu’en est-il de cette patiente que j’ai récemment reçue en consultation et dont la prise en charge d’une fracture de l’épaule par une simple immobilisation, faute de chirurgien, la laissera à vie, à 43 ans, invalide et l’empêchera d’exercer son métier de coiffeuse ? Chacun sait que la responsabilité n’incombe pas aux médecins. Chacun sait que les médecins font tout ce qu’ils peuvent. Monsieur le Ministre, nous devons nous attendre à ce que des français et leurs familles vous demandent des comptes et vous reprochent de ne pas avoir apporter de solutions. Et ces solutions ne se trouvent pas dans le PLFSS 2024. Quand on lit ce PLFSS, on ne peut pas s’empêcher de penser que nous sommes entrés dans un monde fantasmé. Les pharmaciens sont nos amis, mais sont-ils des médecins ? Monsieur le Ministre, les médecins libéraux sont dans la vraie vie.

On a fait échouer les négociations conventionnelles des médecins. Je n’accuse personne : cet échec est de la responsabilité de tous. Cependant, j’espère que vous pourrez accepter de considérer avec nous, Monsieur le Ministre, que le processus était mal engagé. Avec un ONDAM de ville à 3 points sous le niveau de l’inflation, tout s’annonçait fort mal …

Et maintenant, que faire ? Avec quels moyens ? Avec quels objectifs, quelles solutions ?

Monsieur le Ministre, votre engagement est extrêmement lourd, votre responsabilité immense. Les Français ne supportent plus que leur système de santé se dégrade. Ils vont demander des comptes. L’accès aux soins est devenu une des premières préoccupations des Français. Et tout indique que ce sera leur préoccupation première pendant les 20 prochaines années. La CSMF est par essence un syndicat de propositions. Elle l’a été lors des dernières négociations avant que par manque de moyens surement, par défiance aussi, on aboutisse à l’échec que nous connaissons tous.

La CSMF a fait le choix de s’adresser aux Français. Oui, aux Français, parce que nous, médecins, qui avons fait 12 ans d’études, nous, médecins, qui avons choisi cette profession par vocation, nous savons mieux que quiconque que le sens de notre métier est de soigner, d’entendre, d’écouter et d’accompagner. Nul plus que nous n’est confronté aux difficultés de l’accès aux soins. Nul plus que nous n’endosse la responsabilité, y compris médico-légale, de ne plus pouvoir accepter la prise en charge d’un nouveau patient. Changeons de braquet et osons dire la vérité aux Français, les yeux dans les yeux. Oui, la France manque de médecins, d’infirmières, de kinésithérapeutes, d’orthophonistes, de pharmaciens même. Oui, cela va durer. Oui, cela concerne aussi nos voisins européens et de façon beaucoup plus large l’ensemble des pays du monde. Osons dire cette vérité : aucun pays n’a anticipé le doublement de la population en 2 générations, aucun pays n’a anticipé les effets de l’espérance de vie (qui, en France, a progressé de 20 ans en 3 générations). Pire encore, en France, nous avons accéléré ce déficit annoncé dans l’accès aux soins en réduisant pendant près de 40 ans le nombre de nos médecins. Il faut dire cette vérité aux Français. La CSMF le fait et elle va poursuivre dans cette voie.

Mais il nous faut aussi proposer des solutions. Nous devons poursuivre deux objectifs essentiels : attirer les jeunes médecins et garder les plus expérimentés plus longtemps en activité. C’est essentiel.

Attirer les plus jeunes, ce n’est pas salarier des médecins de ville dans un modèle économique qui, comme le HCAAM l’a démontré, est coûteux et inefficient. Attirer les plus jeunes, c’est d’abord s’intéresser à eux, à leur vocation, à leur engagement. Que veulent-ils ? Quelles sont leurs aspirations ? Comment conçoivent-ils leur métier ? On ne confortera certainement pas les justes aspirations des jeunes médecins, et des futurs médecins, en leur proposant une consultation à 26,50 €. Encore moins, en tentant de les contraindre dans des mesures coercitives comme la PPL Valletoux tente de le faire. Il faut redonner aux jeunes des raisons d’espérer, de croire en la beauté et la vertu de l’art médical, d’intégrer dans leurs parcours de formation l’espoir légitime de pouvoir satisfaire les ambitions les plus nobles, les motivations les plus dynamiques. Monsieur le Ministre, ne pensez-vous pas que c’est en faisant prospérer les espérances professionnelles des jeunes médecins, en redonnant du sens à leur métier, en comprenant leur aspiration à pouvoir faire évoluer leur exercice tout au long de leur vie professionnelle que nous sculpterons une médecine moderne et généreuse ?

Moi, je le crois.

Mes jeunes confrères ne veulent plus forcément s’engager dans un exercice linéaire. Ils aspirent à changer d’activité tout au long de leur carrière. A passer de la ville à l’hôpital, d’une activité de soins à une activité d’enseignement, d’une activité de recherche à un métier de coordonnateur. Et ils ont raison. Vous et moi faisons-nous le même métier qu’il y a 10 ans ? Non ! Et n’est-ce pas aussi cela qui nous anime, qui nous motive ? Nous devons donner des perspectives à nos jeunes médecins. C’est la clé de la réussite. De la leur, mais aussi celle de la France. La Santé ne doit pas être considérée comme une simple dépense mais comme l’investissement principal de notre société.

Garder en activité les plus âgés d’entre nous est un impératif médico-sanitaire absolu. Près de 13 000 médecins sont en cumul emploi retraite. Dès le mois de janvier 2024, ils cotiseront avec acquisition de nouveaux droits pour le seul régime de base, soit 22% de leur pension. Ils cotiseront donc sans droit au régime complémentaire vieillesse et à l’ASV. Monsieur le Ministre, corrigez cela, s’il vous plaît ! C’est à la fois un principe d’équité mais aussi une décision politique forte visant à faciliter l’accès aux soins des Français.

Nous devons donner de nouvelles perspectives à la médecine de ville. Pour cela, la CSMF a bâti son programme en trois axes :

  • Valoriser l’expertise médicale basée sur la hiérarchisation des consultations en deux principaux niveaux à 30 et à 60 € mais aussi sur un rattrapage des actes techniques gelés depuis 30 ans
  • Inciter les médecins à prendre en charge plus de patients différents, en mettant l’accent sur le forfait patients-médecins traitants mais aussi en créant un forfait file active pour les autres spécialités
  • Valoriser l’engagement territorial des médecins libéraux dans la PDS, le SNP, les consultations avancées ou encore des activités d’enseignement

La convention médicale que vous nous annoncez imminente est la pierre angulaire de la refonte de notre système de santé. Sans une convention ambitieuse, les médecins ne pourront pas se réorganiser. Ils auront des difficultés à travailler en harmonie avec les autres professions de santé. Or, face à l’enjeu de l’accès aux soins, c’est ensemble, médecins libéraux et hospitaliers mais aussi autres professions de santé, que nous apporterons les solutions. Les fondements de cette rénovation que j’appelle de mes vœux se trouvent dans la convention médicale et dans la volonté affirmée de valoriser enfin l’expertise du médecin pour la qualité et la pertinence de son activité.

En observateurs attentifs, certains, ici, pourraient penser que le Président de la CSMF tient un discours populiste et démagogique. Il n’en est rien ! Pas de cela à la CSMF ! Nous nous battons pour assurer aux Français un accès aux soins de qualité, et ce combat passe par une nécessaire promotion de l’attractivité de notre métier. La CSMF tient un langage de vérité. Les promesses irréalistes et populistes n’ont pas droit de cité en son sein. Nous savons que la dette actuelle de 3000 milliards d’euros imposera des choix politiques très ardus. Mais nous avons l’intime conviction que leur maîtrise procèdera d’une authentique réinvention de notre pacte social. Les évolutions démographiques et sociologiques vont accroître les dépenses qui pèsent sur l’Assurance Maladie. Les complémentaires santé se différencient les unes des autres par le remboursement d’exercices au niveau de preuve aléatoire et qui peut paraître mystérieux. N’est-il pas temps, Monsieur le Ministre, d’expliquer aux Français les enjeux de la révolution du système de santé qu’imposent aujourd’hui les conjonctures socio-économiques et de leur mettre « le marché en mains » ? N’est-il pas temps de responsabiliser les organismes complémentaires afin qu’ils puissent solvabiliser, en lien avec la CNAM, un OPTAM rénové pour tous ? N’est-ce pas la voie de passage d’une politique de santé renouvelée où les plus fragiles seront mieux protégés et où l’on responsabilisera mieux les différents payeurs ?

A quelques jours d’un mouvement de grève des médecins libéraux sans précédent réunissant l’ensemble des syndicats médicaux, la CSMF s’adresse aux Français. Les Français attendent que des décisions fortes soient prises. Il en va de leur accès aux soins et de celui de leurs enfants. L’heure n’est plus aux demi-mesures. Il faut repenser le système de santé, et la CSMF a vocation à être votre partenaire dans cette voie politique innovante, car la CSMF est le porte-parole des millions de patients accueillis chaque jour dans nos cabinets. A défaut, on assistera, impuissants, au naufrage de notre système de santé.

Monsieur le Ministre, tous vos prédécesseurs ont repoussé le problème. Nous sommes toujours en 1945 ! Si comme nous l’espérons intensément, votre action conduira à une remise à plat de notre système de santé, vous serez pour la nation tout entière et pour ses docteurs , « Le Ministre ». Si malheureusement, malgré vos qualités humaines et votre combativité, vous deviez par la faute de circonstances mauvaises ne pas atteindre ces objectifs essentiels, vous serez contraints de ne plus pouvoir compter que sur notre cordialité attristée et amèrement déçue ! Un journal a récemment salué vos qualités et a évoqué les difficultés de votre fonction. Votre connaissance du monde de la santé, votre habileté, votre expérience politique font à l’évidence de vous l’homme de la situation. Merci d’entendre ces Français qui n’arrivent plus à se faire soigner. Merci de tout faire pour que la politique de santé change de braquet. Merci de proposer à la CSMF et aux syndicats constructifs une coopération pour l’élaboration d’un nouveau pacte social pour notre pays. La CSMF s’inscrit en tant que porte-parole des patients. La CSMF saura vous accompagner dans cette démarche ambitieuse.

Monsieur le Ministre de la Santé et de la Prévention, permettez-moi à nouveau de vous remercier d’avoir répondu favorablement à notre invitation et d’avoir accepté ce temps d’échange ici avec les cadres de la CSMF réunis nombreux pour leurs 29èmes Universités.