Se prémunir contre la financiarisation

Olivier Mercier, président du directoire d’Interfimo

Olivier Mercier, président du directoire d’Interfimo
Olivier Mercier,
président du directoire d’Interfimo

Le 10 mars dernier, à l’occasion de l’AG de la CSMF, il s’adressait aux cadres du syndicat pour évoquer devant eux les risques – mais aussi les opportunités – de financiarisation de la santé, un secteur jugé lucratif par les investisseurs privés.

QUELS SONT LES PRINCIPAUX DÉFIS POSÉS AUX PROFESSIONNELS DE SANTÉ LIBÉRAUX EN MATIÈRE DE FINANCEMENT DE LEURS ENTREPRISES ?

Comme je l’ai dit devant les représentants de la CSMF, les professions de santé sont confrontées à plusieurs transitions majeures qui interrogent leur modèle d’entreprise. Il y a d’abord la transition démographique, avec une baisse continue de la densité médicale, au moins pour les quatre à cinq prochaines années, qui fragilise la pérennité de leur offre de proximité au service de leurs patients. À cela s’ajoute la transition épidémiologique : la population s’accroît, avec une augmentation de l’espérance de vie, mais également des besoins de santé, en raison de la progression des maladies chroniques et des affections de longue durée. Il y a un effet ciseau, aujourd’hui, entre la diminution de l’offre de soins à l’échelle des territoires et la hausse de la demande, d’autant plus problématique qu’elle est de plus en plus polypathologique, et donc complexe et chronophage à prendre en charge. Ce déséquilibre accroît les tensions en termes d’accès aux soins, dont je rappelle que c’est un droit pour tous, inscrit dans le préambule de la Constitution. Troisième transition, les progrès diagnostiques, thérapeutiques, technologiques et numériques s’accélèrent. Ils appellent à investir, notamment parce que ces solutions deviennent essentielles pour répondre aux enjeux du futur en termes de santé.


CES BESOINS EN INVESTISSEMENT EXPOSENT-ELLES LES ENTREPRISES AU RISQUE DE FINANCIARISATION DE LA SANTÉ ?

Incontestablement, et c’est déjà une réalité, même si c’est très variable selon les activités. En biologie, par exemple, le mouvement a déjà eu lieu, car il fallait des moyens considérables pour moderniser les plateaux techniques et permettre l’acquisition des technologies les plus récentes pour répondre aux progrès du diagnostic. Aurait-on pu répondre aux exigences du dépistage du Covid-19 sans ces investissements ? La question se pose. En imagerie, le besoin en capital est également stratégique, pour favoriser entre autres l’intégration des technologies d’IA dans les pratiques de la radiologie, ou parfaire les transmissions intergénérationnelles quand la dette bancaire n’y suffit plus. Par ailleurs, le monde de la finance s’intéresse aujourd’hui aux activités de soins de proximité. Le secteur est par essence attractif : la demande de santé est exponentielle et solvabilisée par l’assurance-maladie. Les marges de profitabilité sont cependant moindres qu’en biologie ou en radiologie. Mais la tendance au regroupement et à la pluriprofessionnalité constitue une opportunité pour les investisseurs extérieurs à l’univers de la santé. Il y a là un point d’attention à surveiller : les professionnels de santé doivent se mobiliser pour conserver la maîtrise de leur outil de travail.

CE RISQUE DE FINANCIARISATION EST-IL PRIS EN COMPTE PAR LES POUVOIRS PUBLICS ?
ET COMMENT LES PROFESSIONNELS PEUVENT-ILS AGIR POUR S’EN PRÉMUNIR ?

Oui, c’est un risque clairement identifié, mais qui s’accompagne également d’une nécessité : il faut renforcer davantage ou revoir la structure capitalistique des entreprises de santé. En février dernier est parue l’ordonnance relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées. L’article 70 prévoit, pour les professions de santé, qu’afin de tenir compte des nécessités propres à chaque profession, des décrets en Conseil d’État peuvent prévoir que des personnes physiques ou morales extérieures à la profession, puissent détenir une part du capital mais sans dépasser la moitié du capital de la société. De plus, ces personnes ne peuvent détenir individuellement plus du quart du capital. À ces dispositions, des règles tentant de sécuriser la gouvernance ont été introduites en encadrant les actions à droit de vote double. L’objectif est de permettre d’accroître le potentiel d’investissement de ces sociétés, tout en préservant la maîtrise de leur gouvernance par les professionnels concernés. Car c’est évidemment une menace pour la gouvernance des entreprises libérales de santé, que celle de perdre le contrôle de leurs décisions au profit d’intérêts qui pourraient aller à l’encontre des missions de santé publique qu’elles doivent défendre. Il faut donc attendre les décrets d’application et la vigilance sera de mise sur le dispositif des actions de préférence. De façon globale, les professionnels de santé doivent se former, s’organiser et se regrouper pour combattre toute forme de marchandisation. Et nous serons à leurs côtés pour les conseiller et les soutenir en ce sens.


AUX CÔTÉS DES LIBÉRAUX DEPUIS PLUS DE 50 ANS

Interfimo est, depuis 1969, une société de cautionnement mutuel, créée par et pour les professions libérales réglementées. Destinée à les aider à investir, pour une création ou une reprise d’activité, elle s’appuie sur un fonds de garantie où chaque adhérent cotise. Ce principe de mutualisme permet à toutes les professions libérales de s’entraider pour faciliter l’accès à l’emprunt bancaire. Il y a une trentaine d’années, LCL est entrée au capital d’Interfimo. Devenue SA à conseil de surveillance et directoire, une « gouvernance duale » entre les représentants des professionnels libéraux et LCL a été instaurée, véritable atout stratégique au service du monde des professions libérales et des territoires. Avec 205 collaborateurs et 74 bureaux partout en France aux côtés des 1 600 agences LCL, Interfimo a en 2022 à travers son cautionnement généré 3,5 milliards d’euros de financement. 14 milliards d’euros d’encours sont portés actuellement, dont 70 % sur le secteur de la santé. Depuis sa création, plus de 50 milliards d’euros auront été distribués aux professions libérales réglementées.

Article publié originalement dans Le Médecin de France n°1359 de mars 2023.